La
pêche nocturne
Pierrot
Le
lac est magnifique, il reflète le rose orangé du ciel juste après
le couchant. Nous sommes installés depuis la fin de la matinée le
tanker (la tente kaki) est monté depuis longtemps et j'ai même pu y
faire une petite sieste dans l'un des deux confortables matelas
mousse. Il a fait une chaleur à mourir, pas une amorce de
Tramontane, une eau plate comme de l'huile, pas la moindre ridée.
J'ai passé pas mal de temps dans l'eau pour me rafraîchir,
heureusement ici le naturisme est toléré. On est bien installé au
fond d'une minuscule crique, sur le gravier rouge. Il à fait pas
loin de 40°, même la nuit va être très tiède. Après un bain qui
rafraîchit nos corps nus, je pars à la recherche de bois sec, dans
la crique d'à côté pour quelques grillades. Aujourd'hui, c'est lui
le pêcheur, moi je cuisine. Nous parlons peu, notre relation a
toujours été taiseuse, avec lui, même les silences sont denses.
C'est
une pêche assez étonnante, une multitude de gadget high-tech:
détecteurs variés de touches lumineux ou sonores, bateau
télécommandé pour larguer l'amorce. Moi, plus que la pêche, ce
que j'aime c'est être avec lui.
C'est
un drôle de mec, un méridional long et voûté, noir de peau en
cette fin d'été et noir de son regard, malicieux et rieur, il est
au chômage depuis qu'il à été viré d'un sous-traitant
aéronautique de Montpellier. Pôle emploi lui fout la paix, à plus
de 55ans trouver un job au centre de l'Hérault c'est pas facile,
alors il fait des petits jobs dans l'agriculture. Il y a récupéré
une belle musculature longue, toute en finesse et surtout de belles
fesses, grâce au travail horticole.
Les
pêches de nuit, il les préfère. Les baigneurs sont partis, les
familles, aussi les rôdeurs. Pas un bruit, un minuscule clapotis et
les cris des oiseaux d'eau mais qui ne vont pas tarder aussi à se
taire. On a mis quelques Corbières à rafraîchir et on casse la
croûte avec les saucisses et le pain de seigle du village. Georges
est radieux de m'avoir retrouvé. Après le repas on se précipite à
nouveau à l'eau. Les lignes sont loin, ça ne va pas effrayer les
carpes. On ressort avec précaution car les cailloux sont un peu
aigus et les moules d'eau douce coupantes. Lorsqu'il sort du lac, un
peu rafraîchi, j'aime voir son sexe épais et long avec sa longue
peau de prépuce qui fait gargouille pour l'eau qui s'écoule de son
torse.
Mes
parents ses voisins au village depuis mon enfance, tacitement, lui
ont confié mon apprentissage de la nature, à la pêche, aux
champignons, aux escargots ou le nez en l'air. C'est lui qui a
permis à la Nature de me parler, aux paysages de se raconter.
Je
me souviens d'une pêche au brochet dans un canal, je devais avoir
dans les douze treize ans et j'étais déjà un grand échalas. Nous
étions près d'un pont sous lequel il y avait moins de nénuphar. Il
faisait chaud en cette fin de matinée. Georges en short, torse nu,
couché sur le ventre la tête vers l'eau observait le gros bouchon
que le gardon qui servait de vif tirait ça et là, le noyant un peu
parfois. A deux mètres du sien, le bouchon rouge de ma ligne, au
dessus d'un trou d'eau s'agitait aussi. Bien sûr, je le surveillais,
mes yeux suivaient ses mouvements mais ma tête posée sur le dos
tiède de Georges était toute occupée à un sérieux exercice de
télépathie : je pensais de toutes mes forces au désir que
j'avais pour lui et il me semblait impossible que cette pensée si
intense ne puisse pas envahir son esprit, le faire se retourner vers
moi et m'embrasser comme j'avais vu les amants s'embrasser dans les
films. Mais non, quand il s'est assis pour remonter sa ligne, il à
simplement attrapé mes épaules de son long bras et ébouriffé mes
cheveux, remonté une bouteille d'eau du canal et proposé de boire
un coup ! « on va y aller,sinon gare aux coups de
soleil » a-t-il dit. On a plié les gaules et cherché un coin
abrité pour casser la croûte. Bien sûr mon rêve ne s'était pas
réalisé, j'étais déçu, mais têtu, je recommencerais.
Après
l'internat au lycée et mes études à Marseille, dès que j'avais du
temps on a repris nos randonnées dans la garrigue. Aux
retrouvailles, il s'autorise parfois à passer son bras sur mes
épaules, me serrer contre lui, je sens son émotion à me retrouver,
je sens aussi sa retenue. Ces gestes d'affection discrète m'ont tant
manqué, tout le temps où nous nous sommes peu vu. J'ai, Depuis
l'enfance dans le désir de me blottir dans ses bras, protégé de
son corps il n'a jamais su ou voulu déceler l'amour et le désir que
j'avais pour lui.
Les
cannes sont tenues par les rod-pod, béquilles améliorées, toutes
les lignes sont à l'eau, les détecteurs branchés, il ne reste qu'à
attendre en bavardant à voix basse, peu d'espoir de poisson pour
cette nuit, tant il fait chaud.
Georges
et moi ne sommes pas de la même génération, presque trente ans
nous séparent. Je l'ai toujours connu seul chez lui, mais c'était,
c'est toujours, un bel homme et sûrement il a eu des liaisons mais
je n'en ai jamais rien connu. Peut-être aussi a-t-il traversé une
grande déception. J'étais encore minot, en CM, j'allais le
retrouver après les devoirs, avant dîner, souvent je le trouvais
triste, prostré, méditatif mais à mon arrivée il retrouvait le
sourire et le regard bienveillant que je lui avais toujours connu.
Avec
le lycée et mon isolement à Marseille ou je me masturbais
intensivement tous les jours j'ai quand même appris à découvrir le
corps d'autres garçons, qui m'ont aidé à me découvrir moi-même.
Georges ?
Peut être a-t-il de l'attirance pour moi mais je sens aussi qu'il ne
fera jamais le premier geste. Imagine-t-il même que je puisse le
désirer, que je le désire depuis si longtemps ? Il m'aime,
j'en suis certain, oui mais comme un père qu'il pourrait être, un
oncle bienveillant qui m'a ouvert à la nature, un mentor, qui n'a
pas en lui le désir charnel que j'ai pour lui. J'ai peur de cette
rencontre. J'ai peur qu'il me repousse. Mon affection, mon amour,
mon désir de son corps, j'ai peur qu'il s'en effraie. Je suis
adulte mais me voit-il comme un adulte ou encore comme le mioche
qu'il emmenait aux champignons il n'y a pas tant d'années que cela.
Je
vais me coucher, il reste surveiller les lignes, il n'y a rien à
surveiller. Je rapproche les deux matelas mousse côtes à côte....
on verra bien s'il les éloigne. Une demi-heure plus tard il revient
vers la tente, je vois bien que son réflexe est de tirer son lit
plus loin, mais non, il le laisse et s'allonge à mon côté. Nous
sommes nus tous les deux, la chaleur sous la toile est étouffante.
Il est sur le dos, il ne dors pas. On sent cela, ses muscles ne sont
pas relâchés. Nouvelle demi-heure de tension, du moins pour moi, ma
queue est bandée à être douloureuse. Je pivote et me mets sur le
flanc, la main droite peut ainsi se poser sur son torse, comme si
j'étais endormi mon bras barre sa poitrine. Il n'a pas un geste,
seule sa respiration s'est accélérée et les battements de son
coeur sous mon coude aussi. Longues minutes et ses doigts enfin
saisissent les miens, caressent ma main, la porte vers ses lèvres,
l'embrasse, lèche chacun de mes doigts.
Il
se retourne vers moi et me tire vers lui, m'embrasse à pleine
bouche, parcourt mon visage de ses lèvres et de sa langue, fouille
mon oreille. Je le serre contre moi et je suis aussi dans l'étau de
ses bras, nos sexes sont collés ensemble entre nos deux ventres.
Je
desserre son étreinte pour glisser ma bouche à son sexe. le prépuce
à disparu étiré par l'allongement de son pénis, qui bat une
mesure désordonnée. Son gland est juste adapté à ma bouche et ma
langue danse autour, dans le sillon, et pointe dans son méat. Ma
bouche descend à m'étouffer, le long de la hampe épaisse de son
sexe, le gland enfoui au plus profond de ma gorge au dessus de la
glotte. Je le fait coulisser mais je n'ai pas trop le temps car il
explose en moi, GEORGES, enfin... En deux coups de poignet je viens
aussi. Et de nouveau l'étau de ses bras qui me serre contre lui,
poitrine contre poitrine et coeurs aux rythmes affolés.
Tant
pis pour la carpe.
Georges
Il
est adulte, maintenant, Pierrot, alors est-ce que ça change vraiment
?
Nous
déjeunions chez ses parents, il avait six ans, il a mis sa petite
main dans la mienne et a dit « on va se promener ? » Déjà
presque vingt ans que de petites promenades en longues randonnées,
nous sommes compagnons de balades dans la nature. Je me souviens
quand il avait 7 ou 8 ans son air attentif et ses yeux qui suivaient
mes moindres mouvements quand ayant trouvé un champignon, je lui
expliquais comment le reconnaître, comment le récolter sans trop
déchirer le mycélium, couper la base du pied puis peler à l'Opinel
les parties qui pouvaient être terreuses. Puis au suivant c'est lui
qui le faisait, souvent sa petite langue rose émergeait de ses
lèvres comme souvent les font les enfants appliqués à tirer des
traits avec leur règle. Il le faisait lentement soucieux de bien
faire et de voir dans mon sourire un encouragement. De bolets en
chanterellles, de russules en coulemelles, nous avons passé ainsi
les années de sa jeunesse à parcourir les vallons et les collines
entre Lodève et Clermont. Nous parlions très peu, attentifs aux
bruits de la nature guettant à partir du printemps les
« Houpoupoup » des Huppes peu farouches, les oedicnèmes
et outardes parfois dans les vastes étendues du Larzac. C'était un
jeu entre nous d'imiter ou de reconnaître leurs cris. Nous allions
à la pêche aussi, et les jours d'été pluvieux aux escargots. Il
était devenu un vrai naturaliste. Au cours de ces années je l 'ai
vu grandir. Moi qui n'avais pas d'enfant je m'étonnais des vagues
de croissance qui ne concernaient pas tous les organes en même
temps. Les jambes surtout où pendant de longues période, quand il
n'était pas en short, il portait des pantalons trop courts, feu de
plancher, disait-on. On avait aussi l'impression que ses muscles
disparaissaient un moment puis dans une accalmie de la croissance,
ils se reformaient et redonnaient du galbe à ses cuisses. Nous
prenions nos bains nus dans le lac, je voyais aussi son sexe et sa
pilosité changer quand arriva l'adolescence. Etendus au soleil,
séchant sur une roche plate, je voyais parfois son sexe se gonfler
et il se retournait sur le ventre, sans doute une pensée érotique
le traversait ou simplement la seule volupté de son corps étendu
dans la chaleur du soleil. Je me retournais aussi sur le ventre.
Quand
il partit au lycée nous passions moins de temps ensemble. Ne plus le
savoir à portée de voix lorsque j'allais battre la campagne je le
ressentais avec peine . Son absence douloureuse me fit prendre
conscience à quel point j'étais attaché à lui. Dans mes rêves
dont je me souvenais parfois, souvent me restait au matin
l'impression confuse qu'il avait été blotti contre ma poitrine. Ces
rêves ne prenaient jamais un aspect vraiment sexuel, ils restaient
comme une étreinte affective passive.
J'étais
homosexuel non déclaré, la vie à la campagne n'y est pas propice.
Il me semblait vivre ma sexualité, mes désirs, sans culpabilité
mais pour ma génération que veux dire sans culpabilité? tous nos
modèles étaient hétéros alors la culpabilité on la refoulait
mais elle restait à fleur d'épiderme et la moindre agression la
voyait ressurgir. Dans le quotidien, les nombreux regrets venaient
surtout de l'insignifiance de la plupart des rencontres.
Au
cours de mes périples, je n'avais jamais été attiré par de jeunes
garçons, je recherchais plutôt des types de mon age, ou plus âgés
que je trouvais au sauna à Montpellier plutôt l'hiver, ou en
toutes saisons, en bord de mer entre la Grande Motte et le cap
d'Agde. Les lieux ne manquaient pas et j'aimais mieux le plein air.
J'avais
quarante ans, j'ai rencontré un type. Il bouquinait contre un arbre
abattu au « Grand Travers ». C'était peut-être une
stratégie en tout cas il lisait vraiment car son regard ne s'égarait
pas de la double page imprimée. C'est peut-être cette apparente
indifférence qui me fit asseoir à son côté. Il me regarda et dit
« Veux-tu que je te lise un paragraphe ? C'est de Michel
Tournier,- Le roi des Aulnes- ». J'ai du opiner car il
commença à voix basse, douce, presque un murmure. Evidemment, ce
paragraphe au hasard pour moi qui n'avait pas lu le roman était peu
compréhensible mais la musique des mots, du style était très
belle. Quand il eut fini il me dit qu'il devait partir mais qu'il
était souvent ici le mercredi en fin d'apès-midi. Bien sûr, je
revins et finis par le croiser à nouveau. Il avait soixante ans,
Henri, les cheveux et la barbe blancs tondus très ras, il était un
peu dodu, et il avait un regard pétillant d'intelligence. Il me
proposa de me faire à dîner à la fin de la semaine. C'est ainsi
que débuta une magifique relation de plusieurs années. Il était
seul, moi aussi, et la conjugalité n'était pas notre souhait, mais
nous nous voyions souvent, longuement. Nous parlions beaucoup, de
tout, moi plutôt de jardinage, de nature. Il savait écouter et
cherchait souvent à comprendre ce que je voulais dire. Quand il
parlait littérature moi, qui lisait peu, il m'émerveillait en
citant ou lisant quelques phrases. C'était une une liaison très
riche mêlée d'affection et d'estime de l'autre. Il bandait plus
facilement que moi et savait des jeux qui me firent grimper au
firmament. Jamais je n'avais eu autant de plaisir. Par l'agilité de
ses doigts dans mon anus il me faisait perdre la raison et j'étais
une marionnette qu'il animait, secouée
de spasmes au bout de ses phalanges et au comble de mon abandon au
plaisir, ma bouche cherchait avidement la sienne pour là aussi
m'abandonner. Il me sodomisait parfois furtivement mais préférait
nettement l'inverse. Je jouis lentement et nous passions des heures à
nous aimer. Guidé par ses couinement , ses gémissements, qui
m'excitaient prodigieusement et déterminaient le moment de mon
orgasme au terme d'un crescendo sonore qui nous emmenait tous deux.
Je finissais par jouir en lui et épuisé, m'écroulais contre son
corps trempé de nos sueurs. Après quelques instant, il me faisait
pivoter, et infatigable, caressait longuement mon dos qui frémissait
sous ses doigts, Il adorait me caresser, parfois aussi il réveillait
la bête insatiable tapie dans mon rectum.
Lorsqu'il
voulait jouir il me faisait jouer avec ses tétons et très vite, de
trois quart contre moi, son sexe durci contre ma hanche et souvent
sans même se toucher il jouissait avec un hurlement de bête
sauvage s'atténuant peu à peu à mesure que les spasmes se
calmaient. Il me serrait fort contre lui, collé à moi par son
sperme étalé sur nos abdomens.
Un
jour, il n'a plus voulu que je le revois, je pressentais qu'une
mauvaise nouvelle qu'il venait d'apprendre aurait fait perdre à
notre liaison sa légèreté si précieuse et cela il ne l'a pas
souhaité. Mon adieu se fit loin du cortège dans le petit cimetière
du village où il vivait.
Pierrot
me serre dans ses bras, je le serre dans les miens, le sperme colle
entre nos ventres si serrées que nos cœur et nos respiration se
sont accordées. Je crois que ses larmes coulent dans mon cou. Toute
la tension, l'attente exaspérée de notre étreinte, il réussit
enfin à la relâcher, à laisser ses yeux pleurer. Moi je suis
encore tétanisé, tétanisé de cet acte que mon corps à désiré
si fort sans que mon esprit n'ait eu le temps de le vouloir. Tétanisé
sans pouvoir penser, mon corps seul, autonome a agi, laissant
derrière lui toute pensée. Depuis combien de temps sommes nous
ainsi enlacés, assez pour que son désir revienne et que son sexe
puissant, rigide, imprime sur mon ventre sa volonté. Sa bouche
cherche ma bouche et sa langue fouille mon visage, mes yeux, et ma
bouche enfin ou ma langue soumise s'enroule à la sienne, je suis
dans un blanc de la conscience, vide de toute volonté, de toute
initiative, je subis son fougueux désir comme le destin issu du
Chaos, mon chaos intérieur. Il me pivote sur le flanc et je sens son
sexe épais me pénétrer et me parcourir. Je suis encore comme en
suspension, abandonné à son désir et dans mon esprit vide
caracolent les images de lui, de nous. De lui enfant, sérieux, serré
contre moi dans la barque, attentif au parcours du bouchon à la
surface de l'eau lorsque que nous pêchions de la friture, ses
galoches et ses jambes maigres halées par le plein air et le soleil.
Les longues randonnées sous le prétexte d'escargots, de châtaignes,
de champignons, harassés nous les terminions au bord de l'eau, qui
nous débarrassait de la boue et de la terre des chemins, en été,
nous nous y baignions et séchions au soleil. Parfois, s'il faisait
un peu frais, nous n'y trempions que les pieds, cela attirait les
goujons qui nous chatouillaient les orteils. Je le regardais comme
certainement un père regarde son fils, sans désir conscient, cet
adolescent fin et souple, qui avait grandi trop vite, dégingandé,
maigre, aux membres comme ceux d'un atèle ou d'une argyronète qui
file si vite à la surface de l'eau. D'avoir grandi beaucoup plus
vite que les autres le complexait et toujours courbé en avant il
espérait que cela se voit moins. Sans doute était-ce aussi pour
cela qu'il recherchait la compagnie des adultes. Il parlait peu mais
quand il s'adressait aux autres, à moi, toujours il posait sa main,
sur le bras, la cuisse de l'interlocuteur, comme le font si
naturellement les italiens pour signifier clairement à qui ils
s'adressent. Il a toujours eu cette attitude tactile, pas seulement
avec moi, en tout cas avec les adultes mais je n'ai jamais vu ces
gestes avec les jeunes de son age. Avec moi qui le voyait beaucoup
c'était évidemment sa manière d'être qui s'était construite dès
l'enfance, à tenir ma main et toujours être à mon contact comme si
je pouvais partout et toujours le protéger. Le lac magnifique à
toujours été l'écrin de notre amitié, même de notre intimité
lui qui lors des baignade voulait toujours être à l'écart, non par
pudeur, mais peut-être, je le réalise aujourd'hui, par
possessivité. J'étais un bien grand sot de ne pas voir, à
l'adolescence, ses manèges qui lui permettaient lorsque nous étions
ensemble, de nous isoler des autres. Parfois lors de plongeons il
ressortait et disait s'être endolori le dos et venait m'implorer de
le lui masser. En fait il avait toujours mal au dos avec cette
croissance trop rapide pour sa musculature. Je le faisais, je pense,
innocemment, avec plaisir, récompensé par son sourire. Je n'étais
pas stupide, je ressentais son affection, il ressentait la mienne. Je
le voyais souvent avec ses parents qui sont mes amis. Je voyais bien
l'amour qu'il leur portait et si je me rendais compte de l'intensité
de celui qu'il avait avec moi, je ne réalisais pas que la nature de
cet amour était différente.
Il
ne savait rien de ma vie, sinon que j'étais seul mais sans doute
devait il en savoir beaucoup plus que je ne l'imaginais. Il était le
fils que je n'ai pas eu mais que j'aurais pu souhaiter, il suffisait
à mon bonheur. Pour le reste de ma vie sociale il y avait les
collègues au boulot et pour le sexe j'avais mes rencontres ici ou
là.... je ne recevais personne chez moi.
Il
avait un peu plus de dix ans lorsque Henri disparut. Je travaillais
encore à l'époque et le soir je traînais une mélancolie que
seules ses visites pleines de projets de de rêves égayaient.
Instinctivement, il a du sentir ma douleur et par instinct aussi à
su la distraire autant qu'il l'a pu. Sans doute à ce moment il m'est
devenu plus indispensable encore parce qu'il à su mélanger les
fibres de son affection à celle de mon chagrin et sa présence à
toujours su me rappeler sans tristesse, le bonheur que j'ai connu
avec Henri.
Au
printemps suivant, peut-être plus tard, c'était la première fois
que l'on pêchait le brochet tous les deux au bord du canal. Lignes à
l'eau, allongés dans l'herbe nous attendions l'hypothétique touche.
Il faisait chaud ce matin là et nous étions tous les deux torses
nus et en short. Il avait un peu plus de douze ans ou treize ans mais
déjà une taille d'adulte sauf qu'il ressemblait diablement à une
sauterelle. J'étais sur le ventre, la tête sur mes bras croisés
regardant les lignes. Il s'est approché et s'est allongé sur le dos
sa tête calée sur le mien. Peut-être sommes nous restés ainsi une
petite heure ? Il était assez agité et ne réagissait pas
lorsque son bouchon sombrait. Je ne voulais pas faire de gestes
inutiles le pensant endormi. Quand vers midi, je me suis soulevé et
tourné vers lui, il avait les yeux ouverts. J'ai soutenu ses épaules
et ébouriffé sa tignasse indomptable, pour le ramener à la
réalité. Un air hagard et déçu habitait son visage, un instant
j'ai cru qu'il allait pleurer. « Tu vas bien ? » lui
ai-je demandé. « Qu'est-ce qui t'arrive ? » Il m'a
dit qu'il avait du s'endormir. Alors on a plié les gaules, récupéré
les bouteilles au frais et trouvé l'ombre fraîche d'un frêne pour
casser la croûte. Il avait retrouvé son entrain. Sans doute, déjà,
voulait-il beaucoup plus que ce que mon affection lui offrait.
Toutes
ces images tournent dans ma tête, comme dans ces manèges de foire
autrefois appelés « Rotor » qui plaquaient les clients
contre leur paroi par la force centrifuge, les voilà collés à la
paroi de mon crâne les images de cet enfant, de cet adolescent, de
ce jeune homme que j'ai tant aimé sans comprendre de quel amour je
l'aimais. L'aurais-je su ? jamais je n'aurais attenté à la
pureté du sentiment qui m'étreignait à son contact.
Cet
adulte qui me pénètre et m'étreint à m'étouffer comme si un
manque irrattrapable, inassouvissable d'amour, comme si la
frustration terrible de la tendresse qu'il avait désiré dans sa
jeunesse devait là, tout de suite, commencer à être consolée.
Il
est resté ainsi de longues minutes, immergé en moi, sans un
mouvement, si ce n'est dans l'étreinte, sa poitrine à la
respiration haletante, les soupirs du souffle dans sa gorge, les
chocs des battements de son cœur contre ses côtes.
C'est
un peu comme s'il avait compris qu'il me fallait du temps à moi
aussi pour reprendre pied, pour calmer la machine infernale dans mon
cerveau, pour remettre en ligne ce qu'il fut enfant à ce qu'il est
maintenant. Pour commencer à comprendre que derrière l'attachement
viscéral que j'avais pour lui il y avait la complexité entremêlée
des amours du père et de la mère que je n'étais pas et le mien,
empli de la culpabilité potentielle d'un désir que je n'avais pas
accepté, que j'avais refoulé au plus profond en l'ensevelissant
sous la multiplicité de nos activités communes.
Il
me faudra du temps pour faire, sans sentiment de faute, ce chemin
vers toi, mon Pierrot. Il te faudra de la patience et beaucoup de
nouvelles étreintes pour accéder au moment où nos corps, pourront
enfin se mêler, sans culpabilité, libres et sans entraves.
Marc